
Trois mairesses, trois chemins qui transforment le pouvoir municipal en Estrie
De plus en plus de femmes franchissent la porte des conseils municipaux et font ainsi progresser la parité femme / homme (données du gouvernement provincial). Elles y apportent leur expérience de terrain, leurs réseaux, ainsi que leur détermination à améliorer la qualité de vie des citoyen·ne·s. En suivant les trajectoires de Martine Satre (élue à Danville), de Marie-Claude Bibeau (élue à Sherbrooke) et de Lyne Boulanger (ex-mairesse de East Angus), on voit se dessiner un paysage politique où les femmes ne se contentent plus d’occuper une chaise : elles transforment la façon de gouverner, d’écouter et de décider.
Entrer dans la salle du conseil
Ce qui relie ces trois femmes, avant même leurs différences, c’est un geste simple et radical : accepter de s’engager en politique. Dire oui à une campagne, à des heures de réunions, à des dossiers techniques, à un regard public parfois bienveillant, parfois féroce. Pour chacune, entrer en politique municipale c’est franchir un seuil symbolique, celui d’un espace de pouvoir historiquement investi par des hommes. Leur leadership a aussi en commun d’être profondément ancré dans la communauté.
Martine Satre arrive à la mairie après des décennies à nourrir Danville (au sens propre et figuré) dans son restaurant, en valorisant le patrimoine et le tourisme local. Marie-Claude Bibeau, forte de son expérience de députée fédérale de 2015 à 2025, et de ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire en 2019, puis ministre du Revenu de 2023 à 2024, devient mairesse de Sherbrooke après des années passées à défendre des dossiers internationaux et agricoles, convaincue que cette expérience doit d’abord servir à sa ville. Lyne Boulanger, en vingt-cinq ans en politique municipale à East Angus, a participé à une foule de projets de proximité, de la mise en valeur des parcs et lieux patrimoniaux, à la diffusion d’outils de communication citoyenne. Elle a choisi de ne pas se représenter en 2025.
Toutes trois sont conscientes de l’importance d’apprivoiser les codes de l’appareil municipal (règlements, comités, huis clos, lectures de budget, rapports d’experts). Parce que les termes techniques peuvent parfois exclure les citoyen·ne·s, elles s’attachent à les traduire en langage clair et accessible. C’est déjà redistribuer une partie du pouvoir !
Trois trajectoires menant au pouvoir municipal
Si elles se rejoignent par leur engagement, leurs chemins vers la mairie sont très différents, et c’est ce qui fait leur force.
Martine Satre vient du monde de la restauration et du commerce local. Restauratrice, entrepreneure, impliquée dans la chambre de commerce, elle connaît intimement le quotidien des petits commerces et des familles. Son leadership est celui d’une mairesse de proximité préoccupée par le centre-ville, la vitalité économique, le patrimoine bâti et la vie culturelle. Réélue pour un second mandat, elle incarne une continuité et une confiance renouvelée de la part des citoyen·ne·s.
Marie-Claude Bibeau, qui succède à Évelyne Beaudin à la mairie de Sherbrooke, a longtemps évolué sur la scène nationale et internationale. Jeux du Canada, coopération internationale en Afrique de l’Ouest, puis ministères fédéraux lui ont permis de prendre de l’envergure. Sa nouvelle aventure municipale doit être considérée non comme un « repli », mais comme un déplacement de son centre de gravité. Elle met au service de sa ville natale ses compétences acquises dans les grandes négociations, les politiques publiques et la gestion de crises. Elle entame son mandat avec des objectifs clairs : pacifier, rassembler, moderniser la culture organisationnelle de l’Hôtel de Ville.
Lyne Boulanger représente la longévité. D’abord conseillère municipale, puis mairesse, elle a consacré plus de vingt ans à sa ville. Son parcours nous éclaire sur ce que c’est que de tenir le cap pendant des décennies, suivre des projets de leur première esquisse à leur inauguration, défendre des budgets année après année. Il nous rappelle l’usure, les tensions internes, la difficile gestion des conflits de travail et des critiques publiques. Son départ de la mairie en 2025, sur fond de climat de travail tendu et d’une forte exposition médiatique, montre à quel point l’exercice du pouvoir peut être coûteux pour les femmes.
Trois portes d’entrée, trois échelles d’action, trois temporalités. Ensemble, elles élargissent les façons possibles d’ « être en politique » pour les femmes en Estrie.
Conciliation, leadership et violences envers les élues
Derrière les photos officielles et les discours, il y a des vies très concrètes.
Pour Martine Satre, la question de la conciliation vie personnelle / vie politique est centrale. En tant que mère, entrepreneure et élue, elle a dû composer avec des horaires atypiques, des responsabilités multiples, une forte charge mentale. Sa trajectoire parle à de nombreuses estriennes qui jonglent avec les études, une carrière, une famille, un engagement communautaire.
L’enjeu n’est pas seulement de féliciter les mairesses, mais de débattre des questions suivantes : comment nos conseils municipaux peuvent-ils être plus à l’écoute des étudiantes, des mères, des proches aidantes, des travailleuses parfois précaires, des professionnelles et femmes d’affaires ? Quels horaires, quelles rémunérations, quels services de soutien sont nécessaires pour ouvrir réellement la porte à plus de femmes dans les lieux de pouvoir ?
À travers ses projets, PEPINES, accompagne de nombreuses avancées en matière de parité femme / homme et de conciliation vie personnelle / professionnelle afin de donner le goût aux estriennes d’entrer en politique… et d’y rester.
Avec Marie-Claude Bibeau, c’est une autre perspective qui s’impose : le leadership collaboratif et la culture organisationnelle. À la tête d’une grande ville après le mandat municipal d’Évelyne Beaudin marqué par des tensions, elle met de l’avant un style qui mise sur l’écoute, le travail en équipe, les alliances avec les organismes, les institutions, les autres paliers de gouvernement. Il ne s’agit pas de comparer les profils, ni de dire que les femmes seraient « naturellement » plus collaboratives, mais de souligner que des élues choisissent consciemment de rompre avec une culture de pouvoir considérée comme la norme, pour instaurer des pratiques plus horizontales, transparentes, centrées sur les citoyen·ne·s.
Enfin, le parcours de Lyne Boulanger nous oblige à regarder en face un sujet souvent minimisé : la charge émotionnelle de la fonction et les violences envers les élues. Critiques virulentes sur les réseaux sociaux, attaques personnelles et menace à la tronçonneuse… la frontière entre débat démocratique et intimidation est régulièrement franchie. Quand une mairesse dit publiquement qu’elle a pensé démissionner, cela ne relève pas d’une fragilité individuelle, mais d’un système qui banalise les comportements haineux, le sexisme, les propos malveillants sur l’apparence physique et l’expression des émotions.
Nommer ces violences ce n’est pas nourrir le pessimisme, c’est reconnaître que la participation politique des femmes a un coût, et que ce coût ne devrait pas être porté en silence et en solitaire.
Ce qu’il faut retenir de ces parcours
Les trajectoires de Martine Satre, Marie-Claude Bibeau et Lyne Boulanger ne sont ni des contes de fées, ni des récits de sacrifice héroïque. Ce sont des histoires de travail acharné, de compromis, de courage et, parfois, de blessures. Elles nous montrent que les femmes ne changent pas le pouvoir municipal en Estrie par magie, elles le transforment en y entrant, en y restant, en y posant leurs limites et, parfois, en choisissant d’en sortir.
Chez PEPINES, nous croyons que chaque femme qui ose franchir la porte de la salle du conseil élargit l’espace pour toutes les autres. Notre rôle est de démystifier les rouages municipaux, soutenir les élues et préparer celles qui viendront en offrant des outils, des espaces de partage, de solidarité et de parole.
La démocratie ne se joue pas seulement le soir des élections. Elle se construit au quotidien, dans les alliances, les désaccords, les consensus. Tant que des femmes accepteront de s’asseoir autour de la table d’un conseil municipal (et que nous serons assez nombreuses et nombreux pour les soutenir) le pouvoir municipal en Estrie continuera à changer de visage. Et nous souhaitons que ce processus soit le plus inclusif possible.

